Une dégaine de beatnik, le cheveu en bataille et la mèche trop longue, le jean tombant et le pull vert trop court, une envie de travailler comme d’aller se pendre, une manie d’inventer des gadgets inutiles et une inclination à commettre des gaffes à gogo qui lui vaut son nom. M’enfin, c’est Gaston Lagaffe ! Ce personnage créé par Franquin à la fin des années 1950 devient l’anti-héros préféré de générations de gamins, auquel certains n’ont aucune peine à s’identifier !

Gaston devient Gaston Lagaffe

Apparu pour la première fois dans le Journal de Spirou le 28 février 1957, celui qui s’appelait simplement Gaston se montre aux lecteurs dans une tenue qui ne restera pas : pantalon noir, chaussures vernies, veste bleue étriquée, chemise blanche et nœud papillon rouge, et une coupe de cheveux bien sage. Le 7 mars suivant, il déboutonne le costard, tombe le nœud papillon et s’affiche chemise ouverte. Il a passé la porte de la rédaction mais reste immobile, mains dans les poches. Les codes du fumiste de concours se mettent en place.

Source : Télérama

Le 14 mars, Gaston pousse encore plus loin le curseur de la décontraction en abandonnant les oripeaux du gentil salarié pour investir SA tenue : jean avec revers, pull à col roulé et mégot au bec. Une nonchalance qui deviendra l’ADN du personnage imaginé par le génial André Franquin, ce Leonardo da Vinci de la BD. Un vent de liberté souffle depuis l’Amérique, et Franquin comprend qu’il faut hisser les voiles et confronter ses jeunes lecteurs aux changements sociétaux sur le ton de l’humour.

Franquin s’inspire de la cool attitude des beatniks, précurseurs des hippies qui vont émerger dans les années 60. Look fatigué, un brin insolent, vestiaire approximatif et l’air d’être en perpétuelle contemplation. Le 21 mars, Gaston entre enfin dans la rédaction et le 28 mars, le Journal de Spirou passe au tout en couleur, ce qui permet de voir que le pull de Gaston est vert et ses chaussettes rouges.

Source : Paris Match

Le 11 avril, Dalida console Bambino et celui qui est entré en douceur dans le journal, presque incognito, commence sa première gaffe : de l’encre renversée sur la page du concours Spirou… ce qui fournit le motif de ce concours, retrouver des mots cachés, en l’occurrence tachés. Au fil des numéros, Gaston affirme sa bêtise qui n’a d’égale que sa grande distraction. La victime est bien souvent le gentil loufoque Fantasio.

Gaffes à gogo

Chargé de trier le courrier des lecteurs, Gaston fait tout pour échapper à sa mission et utilise ses circuits neuronaux à commettre des gaffes dont il s’affranchit dans la foulée. Garçon à tout faire, ou plutôt à ne rien faire, il passe ses journées avachi sur son bureau, à élever des plantes et des animaux (le chat dingue et la mouette rieuse), et surtout à bricoler des inventions improbables qui provoquent souvent des catastrophes dans la rédaction : 

  • machine à faire des nœuds de cravate
  • machine à utiliser l’énergie des mille gestes machinaux
  • chauffage pour oiseaux
  • fer à repasser téléguidé
  • souris électrique pour occuper le chat
  • système pour ne plus perdre des gommes
  • chantilly en extincteur
  • bulles de savons de couleur noire
  • machine à faire des ronds de fumée…

La liste est longue des « innovations » pour le moins inutiles et toujours inabouties. Seule M’oiselle Jeanne accorde une oreille attentive aux rêves de Gaston.

Gaston Lagaffe, l’anti-héros

Gaston est l’avatar de Franquin, un hurluberlu qui sommeille en lui. En 1957, aucun héros de BD ne portait de jean. Avec sa panoplie vestimentaire, Gaston devient l’anti-héros qui marque sa différence et son côté précurseur. En 1963, Franquin remplace les chaussures marron par des espadrilles usées, d’abord orange puis bleues. Par ce simple détail, Franquin accentue la mollesse du personnage.

On est loin des héros habituels de bande dessinée. Gaston n’est pas un aviateur ni un journaliste (avec un petit chien) ni un détective ni un guerrier solitaire à cheveux blonds, il est un piètre garçon de bureau dont la seule ambition est de rêver tout haut et d’échapper à son devoir.

Qui avait-on en face ? Astérix, Tintin, Lucky Luke, Rahan, Corto Maltese, des héros presque parfaits, quand le gaffeur rappelait aux cancres du fond de classe qu’il y a mille façons d’exister. 

En 1968, Gaston vole de ses propres ailes : Franquin se consacre uniquement à lui et arrête Spirou et Fantasio. Prunelle fait son apparition, et reprend le rôle que jouait Fantasio en version pète-sec. Gaston sort même de la rédaction, avec sa Fiat 509 jaune à damiers, une automobile des années 20 dont le compteur ne dépassait pas les 40 km/h, sauf avec le gazomètre à charbon de Gaston : flashé à 160 km/h !

Source : mapassiondumodelisme.jimdofree.com

Le 15ème et dernier album de Gaston par Franquin (Gaffe à Lagaffe) paraît en 1996 et le 4 janvier 1997, le monde de la BD pleure la disparition du dessinateur. Gaston a alors 40 ans, 66 aujourd’hui, mais ne vieillit pas.

Maître indépassable (Hergé se disait piètre dessinateur à côté de lui), Franquin a réussi à créer un personnage unique, héros sans emploi, mou, rêveur et paresseux, qui évolue dans le monde de l’entreprise, ce qui n’est guère folichon pour faire fantasmer des gamins, mais aussi pionnier dans la défense de l’écologie et des animaux.